5) Une force inspirante et un déjà là…

Ainsi donc, à Pibrac, les ateliers d’écriture s’inscrivaient dans la continuité des séances de g.h. Notamment lors de stages d’été ouvert à tout public et, dans le cadre de la formation à la certification EMS,  aux praticien en g.h.[1].

Durant cinq sessions,  cette mise en place a trouvé une légitimité « pour que le désir d’ancrage existe « . Et ce, tout particulièrement pour l’élaboration des mémoires. Les ateliers d’écriture permettent de mettre en mots pour faire advenir l’inédit.

En effet, l’écriture à partir de l’expérience du corps renvoie des réalités, déstabilise, rétablit, pousse à aller plus loin.  Nous apprenons autrement sur nous-même et la pratique de la g.h. associée à celle de l’écriture « en apprennent » aussi l’une sur l’autre. Entre elles deux, il y a des similitudes d’approches, des analogies de fonctionnement.

Cette proximité se perçoit dans la nécessité d’un discernement de l’intention et du positionnement, dans l’exigence de leur structure, dans leur détermination à être à l’écoute de soi. D’ailleurs, les propositions d’écriture se sont ajustées « en marchant » pour avancer dans cet apprentissage commun. Elles continuent à interroger la trame de ce pas à pas.

Il est temps d’approcher la force inspirante contenue dans cette « remise en capacité » des personnes devenues auteures.

Un ensemble de supports d’écriture était proposé aux futurs praticiens. Le choix de ces supports se faisait en fonction du thème et du programme des modules[2]. L’axe de travail de ces différents supports est basé sur l’association de 3 composants :

1 – l’expérimentation de mouvements de gh,

2 – l’entraînement à l’écriture à partirde l’expérimentation,

3 – l’imagination associée aux deux points précédents devient la «force inspirante ».

Cherchons à éclairer les caractéristiques de cette force inspirante. 

Une première caractéristique « la » place au service d’un lien subtil entre le corps, la plume qui le prolonge et qui trace sur un papier quelque chose qui va demeurer, jaillir de soi sous le regard des autres. Entrecroisement de plusieurs fils de laine montrant le maillage ajouré d’un tricot.  Dans la confiance et le non jugement.

Une deuxième caractéristique vient de l’effet miroir qui se produit de façon plus ou moins évidente et consciente.  Cet effet miroir est intéressant dans notre démarche. Dans la mesure où l’écriture apporte une aide progressive pour débusquer les peurs, libérer les blocages,  apprivoiser les paradoxes, élargir les potentiels. Un fil de soi bordant la lisière.

La formulation des objectifs des participants en est une étape importante :

–  « Je retrouve de l’énergie grâce à la mise en mouvement de mon corps » Chl.

–  « Je découvre la confiance dans mon corps par le mouvement  » Ch.

L’imagination, placée au cœur du lien entre le corps et l’écriture, déplisse une troisième caractéristique. Celle d’une invitation à « sortir de son bocal [3]», à être créatif, à s’abandonner en faisant appel à son imaginaire.

Les participants mesurent combien l’écriture laisse transparaître les perceptions et l’état d’être de chacun. Par exemple, la formulation d’un titre en fin de production d’un texte donne un repère sensible sur ce point :

–  « Se nourrir des tensions libératrices » C.

 – « Mets du vide ! » Chl.

–  « Le chemin de la confiance sur le chemin du corps »Ch.

L’écriture est donc révélatrice, libératrice, réparatrice, parfois même salvatrice.

A  son rythme, à sa manière, chaque participant « s’apprend » à libérer le fil ténu entre le vécu, l’état physique et le mental. Une  libération subjective, exprimée à un moment donné, parlant de son « expérimentation de l’holistique ». Un tissage unique en guise de quatrième caractéristique.

Dialogue avec la gravité [4] :

Extrait n°1 :

« Deux dualités, deux complémentarités. Quand je suis sur le tapis en réalisant des mouvements, ou lors de l’observation, elles se répondent, elles s’enchaînent, elles cohabitent ensemble. Elles me permettent d’être debout, en équilibre, en vie. » I.

Extrait n°2 :

… « Je retrouve des appuis au sol, de la longueur, de la largeur, des volumes, de l’air. Je vais me coucher légère. » … M.

Extrait n°3 :

…. «  Puis, debout, je m’enracine telle une pyramide posée sur son socle. Je m’édifie. Mon sommet occipital prend une ampleur tridimensionnelle… Un souffle vivifiant me permet de déambuler paisiblement. »… C.

Extrait n°4 :

… « J’étire. Je force. J’abandonne. Je mobilise. Et, je finis par comprendre que c’est mon corps, moi toute entière, qui décide vers et où je veux aller. »…  C.T.

Avec l’apport de l’holistique, nous observons une nouvelle compréhension de ce qui se vit, de ce qui se précise, de ce qui se construit. Sur le tapis par des mouvements de dissociation, Puis des mouvements d’association. Sur le papier, par des ajustements successifs. Avec tolérance et repérage d’ancrage-encrage dans le respect des perceptions du moment.

Tous les couturiers, de quartier ou de grands défilés de mode, considèrent l’importance de multiplier les essayages pour que « l’habit soit habité » par la magie de la création. Telles des retouches utiles à un vêtement, de multiples étapes d’écritures sont à prévoir avant d’arriver à l’écriture finale du mémoire.

…« Je ne sais pas comment font les auteurs. Pour moi, qui ne suis pas une habituée de l’écriture, je trouve qu’écrire ça prend du temps et que ça force à réfléchir »… AM

Ces temps d’ajustement demandent une discipline pour soutenir les efforts sur la durée, maintenir l’axe de sa recherche et développer l’énergie du sens critique. Créer des liens, se laisser guider par d’autres pour orienter son regard. Des garanties de discernement et d’objectivité viennent ici inscrire cette cinquième caractéristique.

Ainsi,  l’écriture de chacun, comme certains mouvements,  vient se placer suite à l’initiative de l’écriture à plusieurs, par exemple :

« Il ne comprend rien, mais il entend. Quand il s’agit de faire des mouvements autour de la coordination, le mental veut écouter les consignes mais concrètement il arrive de ne pas comprendre la consigne. Cela demande de l’attention de coordonner la droite et la gauche, le haut et le bas, le pied gauche et la main droite…. Il y a tout un jeu d’association et de dissociation qui peut être compliqué à mettre en place. On défait les coordinations pour faire des mouvements en dissociation qui peuvent engendrer des résultats inédits. 

Cela demande de l’entraînement et parfois il ne s’agit pas chercher mais laisser suivre le mouvement. (…)  En résumé, la coordination qu’elle soit seule ou à plusieurs, vise une certaine harmonie du corps. Et parfois, on la trouve sans comprendre, là où on ne l’attend pas ». R+L+J

Parfois, sans rien avoir à retoucher,  il arrive que l’écriture libère un « déjà là ». Celui que le corps sait déjà. Depuis bien avant le temps des hypothèses.

Alors, loin des podiums et des mannequins aux allures déhanchées, nous pouvons découvrir d’autres aspects de cette force inspirante avec un « déjà là ». 

Un déjà là

L’inattendu d’un « déjà là » peut se révéler au détour d’un mouvement. Si possible ne pas  détourner l’information. L’accueillir. Sans exercer de contrôle.  Si le mental devient moins rigide, le corps permet « la rencontre »  à un moment donné.

Une quantité de réactions et de mots sont stockés, formatés, bloqués par rapport au passé que chacun continue à utiliser face à des situations du quotidien. Quant les comportements sont « éclairés », globalement ils sont recevables et adaptés.

Pourtant, ce n’est pas toujours le cas. Alors que rien, ni personne, contraint à répéter des comportements devenus inappropriés.  La résistance aux changements est incroyablement humaine. Elle devient très pénalisante quand elle se transforme en souffrances. Physiques. Mentales. Psychiques. Des souffrances tenues par des coutures imaginaires à points-poings serrés sans pouvoir les nommer.

De son côté, le corps imprime ces réactions « en décalage » par des blocages.  Pompier de service, vêtu de la tête aux pieds, il sait même les développer en somatisant.

Peut-être quelque chose de déjà là se lit juste ci-dessous.  Pour « Se tenir debout », avec le corps qui guide et les mots pour lui le dire :

Se tenir debout

A partir du texte de D. Gagnon

Extrait n°1 :

…«Se tenir debout, c’est oublié le passé pour être dans le présent»… CT

Extrait n°2 :

« Se tenir debout, au plus profond de mon Etre, être le lieu Ciel-Terre.

Se tenir debout, garder son axe,

Se tenir debout, le cœur centre entre l’axe vertical et l’axe horizontal.

Se tenir debout, c’est s’aimer… et je ne trouve rien d’autre à dire.

Se tenir debout donne l’ancrage face aux tourmentes. » IS.

Extrait n°3 :

« Se tenir debout c’est respecter ce que nous sommes profondément et respecter nos valeurs intrinsèques avant toutes choses.

Se tenir debout, c’est s’accorder de l’importance sans être hautain et sec dans sa posture.

Se tenir debout, c’est être fier d’affirmer ce que nous sommes, peu importe le jugement des autres.

Se tenir debout c’est se sentir fort et grand de l’intérieur.

C’est parler à partir de son cœur sans avoir peur de perdre, parce que nous sommes déjà prêts à accepter de tout perdre mais jamais de Nous perdre.

Se tenir debout, c’est être souple sans être mou mais être présent et centré.

Se tenir de bout c’est s’aimer suffisamment pour éviter de se rendre au point de dire « c’est assez » parce que nous aurons dit plus tôt « ça ne me convient pas ».

Se tenir debout, c’est oser dire non sans repli sur soi et humiliation qui fragilise en profondeur et crispe l’extérieur.

Se tenir debout, c’est affronter les vents, les tempêtes, tout en sachant que nous sommes assez forts pour passer à travers, et que nous serons plus forts, une fois l’orage terminé.

Se tenir debout, c’est se sentir rempli d’une force indestructible en son centre et tendre en périphérie.

Aujourd’hui  je vous souhaite de vous tenir debout, peu importe ce que la vie mettra sur votre chemin ! » M.

Extrait n°4 :

….« On ne pourra parfois dire que plus tard si on se sent apaisé, détendu, tonifié, chamboulé, ou revigoré, ou tant d’autres choses encore. L’essentiel est que grâce à ces mouvements de GH, nous nous permettons de nouvelles perceptions dans notre structure intérieure, intime et nous lui offrons d’aller vers une meilleure cohérence. Se tenir debout pourra alors être plus facile pour nous permettre d’être fiers et d’affirmer ce que nous sommes. Peu importe le jugement des autres»… Ch.

« Se tenir debout » fut une expérience d’écriture qui prolongeait une série de mouvements communs aux participants du groupe. Chaque participant a pu vivre une expérience personnelle. Avec des interconnections. Tout communique. En permanence. De la même manière que les organes le font dans le corps. 

Il arrive aussi que les mots des uns s’invitent dans les pensées des autres. Alors, il se crée une intertextualité avec un enchaînement surprenant entre des constats, des questions et des ébauches de réponses au cœur des textes de participants. Souvent à leur insu. De drôles de hasards se conjuguent avec des clins d’œil malicieux. La force du caractère holistique.

Pourtant, ces expériences exigent de poser clairement les frontières de l’accompagnement de chacun en tant que praticien en gh.

Des frontières imaginées comme étant des espaces d’échanges, des invitations à goûter les différences. Non pas des frontières qui enferment.

Des frontières personnelles et professionnelles à connaître, à respecter pour protéger et surtout pour être à l’écoute de ce qui se vit.


[1]  Programme des modules de formation de Jackie Labadens

[2]  Programme des modules de formation de Jackie Labadens

[3] Support pédagogique autour « du poisson rouge » pour ouvrir ses représentations, ses croyances limitantes, son cadre de références.

[4] Ushio Amagastsu, « le souffle de l’esprit », Actes Sud, 2000, pages 44 et 45.