3) Un processus

« Socrate, Platon, Aristote, Epicure, Nietzsche, Kant, Rousseau, Thoreau, Walser, tous étaient de grands marcheurs, et leurs oeuvres témoignent de l’importance de la marche comme support structurel, architectural, de la genèse de leur inspiration et de leur inventivité créative [1].

Socrate enseignait en marchant. Nietzsche ne parvenait  à penser et à consigner ses aphorismes qu’en marchant. Philip Roth n’écrit, pour sa part, que debout. Victor Hugo faisait de même durant son exil à Guernesey. Tous ont découvert, sans formation médicale, mais par l’expérience, et bien avant moi, le rôle de la marche et de la verticalité sur l’équilibre de la pensée. Or, tout le monde ne sait pas forcément mettre un pied devant l’autre et porter sa propre verticalité. Ce n’est pas parce que l’on marche, qu’on se porte. »

C’est pourquoi, associés au travail de « se mettre au tapis », des apports théoriques sont partagés, étayés pendant les ateliers d’écriture. Très souvent le regard et l’expérience de chacun apportent un éclairage « autre ». C’est-à-dire un éclairage qui pousse à expérimenter par soi-même. Inlassablement. Éprouver soi-même les expériences au tapis. Lâcher le mental.

Ce travail personnel en route, chacun trouve ses appuis  avec les fondamentaux de la g.h.  Les lignes directrices sont abordées en fonction de différents points, dont : les thèmes des modules de formation, l’analyse et la prise de recul sur les expériences de praticiens…

La transmission des fondamentaux mis à l’épreuve « du tapis » témoigne que la pratique est l’outil premier du professionnel en g.h. C’est pourquoi, l’appropriation des fondamentaux par l’expérience au tapis devient à la fois le moteur et le résultat du travail de réorganisation. Une appropriation où « l’observation permet d’apprendre et d’apprendre en observant.  »  

« L’observation est une sorte de confrontation distanciée avec l’extérieur. C’est pourquoi elle appartient pleinement au champ de l’intériorité. Elle suscite des questions, elle participe à « l’initialisation » dans le sens de découvrir. Elle est le gage d’un regard renouvelé comme la répétition d’un mouvement est en soi une expérience renouvelée en Gymnastique Holistique. » [2]

Tout au long de la formation de futurs praticiens,  l’approche didactique des fondamentaux stimule l’adaptation et/ou l’ajustement des perceptions aux réalités du corps, à la clarté des objectifs des mouvements, à la diversité des effets évoqués.

Cette approche est approfondie à partir des contenus des écrits produits durant les ateliers. En effet, chacun a son appropriation du sens des mots. Nous l’avons vu, elle est en relation directe avec son histoire. Il devient alors incontournable pour chaque « auteur praticien » de travailler le sens donné et le sens reçu des fondamentaux et autres points d’appui abordés.

Ainsi donc, dans la continuité, le programme de base reste se re-mettre à l’épreuve du tapis. A l’épreuve du vivant. Observer. Mettre en doute. S’étonner. Construire. Déconstruire. Reconstruire. Dans le respect de son rythme.

Concrètement et progressivement, la pratique de la gh agit sur l’ensemble de ces chaînes musculaires et réajuste le schéma corporel. Le rythme proposé invite au  « petit, facile… » pour permettre aux fascias, aux muscles, au squelette, aux méridiens de bien s’étirer, au souffle d’oxygéner les tissus… Des changements se font. Le corps apprivoise « de ses nouvelles » en « lui parlant de lui ». Comme un tissu se forme. Se déforme. Se transforme.

Un professionnel de couture sait combien les retouches les plus complexes, qui concernent les modifications de l’ouvrage d’origine, exigent des connaissances de la structure et du montage des vêtements. Ce travail sera plus facile si les étapes de réalisation sont appliquées dans l’ordre et si la technique adéquate est choisie pour chaque élément modifié.  Alors, pour effectuer correctement ce type de retouche, quelle que soit la partie de vêtement, il est primordial de prendre d’abord un temps de réflexion parce que dans la plupart des cas, l’enjeu est de trouver une solution réalisable, adaptée, et très souvent d’être créatif.

En est-il de même pour le processus d’appropriation et de distanciation consciente et volontaire  d’un praticien en gh ?

Au cours des différentes formations de praticiens en gh, j’ai compris que le tout premier élément du processus d’appropriation revient à la proprioception.  C’est-à-dire la perception que le corps a de lui-même dans l’espace. C’est l’une des sources de connaissance les plus importantes. Elle est un des outils d’apprentissage fantastique. Un praticien gh  ne pense pas seulement avec son cerveau, mais avant tout avec son corps. La connaissance de son corps  devient un moyen de pensée et de communication avec le monde au quotidien[3].

En réalité, une « double mobilisation » du processus de distanciation consciente et volontaire est attendue : la première en participant et la deuxième en donnant des cours de g.h.  Si possible de façon hebdomadaire. La pratique régulière de mouvements de g.h. induit un regard « autre » du corps et du mouvement. Immédiatement ce « praticien en marche » se place dans la posture du chercheur.

Ainsi, la pratique quotidienne modifie, ajuste, ouvre, découvre, développe, affine, informe, rassemble, isole… les perceptions corporelles personnelles et l’accueil de celles des personnes accompagnées. Autant d’informations sources d’interrogations et d’intégration des fondamentaux qui ne pourraient être acquis par la seule approche théorique de la gh.  Au risque de réduire les mémoires à de tristes tricotages étriqués de « cours de bio-méca »!

Enfin, entre les modules de formation, une invitation à la ré-écriture des textes produits lors des ateliers s’impose. Comme des passages dans un tamis fin, les écritures successives sont là pour dépasser les évidences, développer l’inattendu, élargir et donner plus d’épaisseur ou de limpidité à ce qui a été écrit à un moment donné.  Seul ou à plusieurs.

Si des temps d’écriture sont programmés dans l’organisation de chaque module, il est indispensable qu’ils se prolongent dans « l’univers du quotidien ». Pour créer ou maintenir cet investissement des temps d’accompagnement individuels sont proposés sur les périodes d’entre-deux stages. Ainsi donc, une incitation à l’écriture à partir du mouvement se concrétise par un travail personnel constant, intense. Sans heure fixe, ni réponse simple apportée à une commande. Ou encore à la mode du moment.

Dans cet investissement, la répétition et le temps sont des alliés au travail de distanciation. Ils permettent les passages d’encrage à d’ancrage. Et vis versa. Une perméabilité des acquis et des changements sans cesse en mouvement.

Avec la répétition, l’écriture se délie, se singularise, comme un muscle trouve sa force et sa fonctionnalité par des exercices répétés.

La rédaction d’un mémoire conduit chacun à aller à la rencontre de registres nombreux et subtils. Cela induit la traversée d’une déstabilisation avant une stabilisation par un retournement et des « retrouvailles ». L’acceptation d’une avancée qui passe par l’obligation d’une découpe des pièces dans la toile. Une découpe franche, visible, nécessaire pour le montage de l’ouvrage.

Une découpe toute aussi franche et visible s’impose aussi lors de l’écriture d’un mémoire.  

L’axe de travail trouve des limites. L’étape de la formulation des questionnements se concrétise.

« Tant d’années de ma vie à écouter le mystère de toute une vie. A s’en approcher

Aujourd’hui, nous nous demandons si au final tout se résume dans la respiration. 

C’est un mouvement naturel qui définit la vie et la mort. La vie commence par une inspiration, puis l’expiration suit obligatoirement. Notre respiration est un mouvement perceptible dans tout le corps.  La respiration, ne l’oublions pas, sans trop y penser non plus ». R+L+J

La dérision et la transgression se perdent avec la peur de se tromper. L’affolement des pensées s’améliore. « La terre n’est pas plate ». Des évidences d’aujourd’hui, des questionnements d’hier.

Le corps a son intelligence au présent. Avec de nombreuses fausses évidences. Retrouver la boussole du corps par l’expérience du tapis permet de formuler des questionnements et des hypothèses.


[1] Jacques-Alain Lachant, « La marche qui soigne », 1016, Editions Petite Biblio Payot et Rivages santé, édition de poche, 2015, 303 pages,  Extrait pages 15/16.

[2]  Référence : Jackie Labadens. Extrait de « Essai de théorisation d’une pratique éducative singulière : la Gymnastique Holistique » D.U. Sciences de l’Education, Université, Toulouse 2 / 2008, 

[3] Pour la construction du mémoire, en plus de cette gestion cognitive personnelle, l’approfondissement des fondamentaux de la g.h. se prolonge par une approche pluridisciplinaire et collective. Cette démarche de recherche passe par tous les moyens à la disposition d’un chercheur : des lectures, des rencontres, des analyses, des remises en questions, des limites, des prises de conscience, des porosités d’idées, des débats, … Et surtout, son propre engagement dans l’expérience régulière de la pratique de la g.h.