2) Des consignes

 « Ecrire moi ?!  Sérieux, je ne sais pas quoi écrire…  » N.

Pourtant cette personne sait écrire. Quel que soit son vécu au moment de l’apprentissage de l’écriture, elle a développé son propre sens des mots en relation directe avec son histoire.

En réalité cette personne exprime ses peurs, ses complexes par rapport aux « belles phrases », à la syntaxe, à l’orthographe, à la grammaire…. Or, dans les ateliers d’écriture, certes se conformer aux règles de la langue peut avoir son importance mais rien n’a plus d’importance que le sens profond du message donné par l’auteur.

Reconnaître ses croyances limitantes est déjà un pas dans le travail d’écriture. Oser tous les mots pour se connaître et se comprendre vient ensuite. Avec pour cadre celui qui intègre qu’il n’y a « ni vrai, ni faux, ni jugement, ni formatage… ». C’est pourquoi, clarifier et poser le cadre[1] pour faciliter l’écriture est la première consigne à partager avec les participants.

« Un mot. Un seul. Laissez-vous porter …« 

L’annonce de consignes est très souvent un « temps suspendu », avec sa part d’étonnement et d’inconnu. Il y a là, me semble-t-il, une similitude avec des consignes d’un mouvement en g.h.  Tant au niveau de la forme que du fond : leur formulation, leurs objectifs, leurs effets, leur part d’inattendu, ou encore le rythme, le volume et le ton de la voix…

Les consignes d’écriture sont utiles.  Elles offrent une forme d’ordre à la réflexion. Comme un ordre des choses, sans vraiment de hiérarchie, mais donnant un respect de l’organisation proposée. Elles ouvrent un univers créatif et ludique.

Les mots viennent. Dynamiques. Terrifiants. Percutants. Apaisants. Déboussolants. Bouillonnants. A chacun de les utiliser, de les combiner, de les mettre à l’œuvre pour en traduire le sens.

Dans les ateliers, il est possible de suivre les propositions d’écriture comme des balises. Il est tout aussi possible de les contourner. Quoiqu’il en soit, les consignes données pour l’écriture, ressemblent à celles formulées pour la réalisation d’un mouvement en g.h. de part leurs formulations courtes, précises, simples. Elles débutent de préférence par un verbe d’action, conjugué à l’infinitif.

Prenons un exemple concret d’un de ces temps d’écriture où chaque participant est invité à s’approprier les consignes proposées. Le thème du stage s’intitule « Tonus/Détente », nous travaillons autour des mécanismes corporels où des forces antagonistes sont en présence.

1- Choisir le mouvement déterminant pour vous parmi ceux travaillés depuis le début module. Par exemple : 

– « Repoussé des ischions à partir du 4 pattes incliné » Chl ; Cél.

– « Etirement croisé à partir du talon» Ch. ; M.

– « Bercement sur gros ballon » IS.                                           

2- Composer un texte. Pour cela :

– Débuter le texte avec l’incipit : [La main sait….]

– Introduire [un mot de chaque participant]

– Ajouter les intrus [balle à picots + essence d’ambre]        

3- Observer puis noter « ce que ce temps d’écriture a changé en vous »              

– Envisager une conclusion guidée [En guise de conclusion, je pourrai dire que ce mouvement à modifié en moi…].                

4- Lire  successivement les textes produits.                                                    

5-Ouvrir avec des apports théoriques, des échanges d’expériences, des commentaires, des pistes d’approfondissement…                  

Extrait du texte n°11 :

…. « Je dirai que ce mouvement a changé la perception que j’avais de la détente. J’ai compris qu’elle ne pouvait pas exister sans la tonicité du corps. Je perçois maintenant que je dois systématiquement associer la tonicité à la détente pour retrouver un équilibre juste et cohérent. En l’écrivant, je clarifie  ce changement de perception. » Ch.

Extrait du texte n°12 :

« Ma pensée déambule autour d’un tonus juste pour pouvoir me détendre enfin. Je suis en éveil. Aussi, je dirai que ce mouvement a modifié en moi la confiance dans un abandon. C’est précieux et bon  à vivre ». C.

Extrait du texte n°13 :

… « Je garde la sensation d’un voyage intérieur. Je laisse mon corps réaliser le mouvement à partir des deux points d’appui stables : sacrum et occiput. J’active la rotation du thorax autour du ballon. Très lentement. Et là, la douceur du mouvement m’habite ….  Je prends du volume, de la plénitude. Les fluides circulent, ma respiration me nourrit. Je suis bien. » S.

Encore une fois, les consignes stimulent la créativité, reconnectent chacun à sa propre histoire, à son propre rythme.  Consigne après consigne, une progression du premier au dernier support d’écriture est envisagée pour obtenir :

  • un changement des perceptions  de son corps
  • une meilleure compréhension de la méthodologie de recherche,
  • une appréhension juste de la posture du praticien en g.h.

La progression du travail d’écriture d’un participant n’est pas forcément adaptée à celle d’un autre participant. L’idée est d’expérimenter différents supports, avec plus ou moins de consignes d’écriture. Donner des balises pour que chaque participant puisse choisir ce qui lui convient le mieux, voire qu’il construise ses propres supports d’écriture lorsqu’il sera chez lui. Libre et autonome devant ses notes pour aller à la découverte avec lui-même[2].

« Oui, c’est toujours plus difficile les yeux fermés. En marchant les yeux fermés, un temps d’adaptation est nécessaire. Il s’agit de trouver d’autres repères. La marche est plus lente pour aller vers l’inconnu pas à pas à la recherche d’une stabilité en toute sécurité. L’équilibre n’est pas figé. Il naît des petits ajustements posturaux, il est toujours remis en question. L’absence d’équilibre crée des tensions, parfois des compensations. L’équilibre est une belle économie d’énergie. » L+R+J

Le travail d’écriture débute généralement par un croche-pied aux certitudes. Bien que cette approche puisse être vécue comme une étape sympathique, voire heureuse…  elle reste une mise à l’épreuve déstabilisante.

Tout comme l’exige la pratique de la g.h. sur le tapis, depuis la toute première formation de praticiens en gh à Pibrac, les  processus méthodologiques mis en place dans les ateliers d’écriture  ont évolués.  Pour rendre compte d’éléments d’analyse autour de la pratique en gh, les futurs praticiens s’engagent dans une réflexion singulière en suivant des consignes d’écriture précises. Chacun d’eux choisit d’en découdre avec le sens donné aux mots.  Se faire comprendre. Etre compris.  Contenir. Laisser faire.

L’écrit final pour la certification en gh se conduit collectivement et se co-produit. Ainsi, avec une perception plus ou moins proche et globale de l’ouvrage fini, il s’agit de progresser ensemble par étapes et ruptures successives pour la reprise d’un montage point par point. Parmi celles-ci, il est évident que certaines sont plus ou moins confortables ou piquantes ! [3]

Alors que pour certaines personnes pouvoir s’appuyer sur un cadre contraignant facilite la mise en mots, pour d’autres, pouvoir s’échapper des consignes devient le meilleur conseil d’écriture. J’indique donc plusieurs contraintes d’écriture, plus ou moins ludiques puisqu’elles sont élaborées comme une sorte de « jeu de piste méthodologique ». Cette pédagogie participative impliquante permet de passer d’une étape à une autre, sans forcément passer par toutes les contraintes et/ou libertés d’écriture proposées.

Bien que l’écriture du mémoire puisse être un « jeu sérieux »,  les principes de la structure d’un mémoire demeurent des lignes à suivre. Tout comme ceux d’un textile où le tissage s’établit invariablement avec une trame et une chaîne[4]. Qu’il soit fluide, épais, ou transparent, il y a des jeux de tissage.

Dans ce contexte particulier où l’écriture s’élabore à partir du mouvement, le jeu de piste méthodologique a un rôle de réorganisation. Le langage écrit ne se juxtapose  pas au langage du mouvement, il réorganise les fonctions déjà existantes en gh.

Progressivement, un processus transforme fondamentalement les perceptions de chacun.  L’écriture vient matérialiser les pensées. Elle permet alors d’apporter une prise de recul et de distanciation. Nous voyons, comme c’est le cas lors d’une séance de gh., combien chacun cherche à s’abandonner, à se faire confiance, à accueillir les mots, les ressentis, les expériences, pour vivre son propre processus d’appropriation et de distanciation consciente et volontaire.

Après le premier pas d’écriture qui donne déjà son lot d’informations, vient le deuxième pas. Celui de la lecture ce qui a été écrit.  Là encore, il n’y a pas de règles. Chacun est libre de choisir de partager son texte tout de suite, d’en lire un extrait, ou de « sortir sa carte joker ».

S’entendre lire ses propres mots, à voix haute, contribue à l’impact et l’ancrage du message écrit. Au bout de quelques phrases écoutées, il est courant d’entendre : « Tiens, je n’avais pas observé autant d’effets… ou…  je n’avais pas fait le lien entre … ». Des points de vue qui tissent, maille après maille, un jacquard coloré d’échanges et d’expériences sans modèle préalable, ni dogmatisme sur le résultat obtenu.

Le choix d’une co-animation [5] est précieux pour soutenir et garantir la qualité de ce maillage complexe. Il s’est instauré pour que les dimensions [corps, pensées et écriture] s’ajustent au mieux au processus d’appropriation d’une pratique d’une part, et au processus de recherche d’autre part dans le cadre de la certification de praticiens gh.


[1] Entre autres éléments à rappeler :

– Ne pas se prendre trop au sérieux,

– Cesser d’accepter la pression qui pousse chacun à renoncer à ce qui lui convient,

– Cesser de vouloir tout contrôler, maîtriser…

– Oser exprimer, inscrire, créer, vivre

– …

[2] Ainsi, chacun peut programmer sa progression dans la rédaction de son mémoire. D’autant que chacun des futurs praticiens a à répondre à la question « comment rendre compte de sa pratique en gh dans le mémoire ? ». Apporter son analyse nécessite une vraie prise de recul.

[3] Par exemple celle d’extraire trois mots clés issus des premières parties des écrits individuels.

[4] La trame = une largeur

  La chaîne = une longueur

[5] Co-animation : conduite jusqu’en septembre 2021 avec Jackie Labadens. Un travail de transmission est produit co-latéralement, établi en amont des programmes des modules de formation de praticiens gh, puis ajusté en fonction du déroulement de chaque module. Ce travail s’est poursuit avec AM Beaumont et V. Masson  pour la finalisation de la formation n°5 à Pibrac.

[5] J. Labadens, « Gymnastique Holistique, Essai de théorisation d’une pratique éducative singulière », DEHPS Université de Toulouse, 2008. P 63